la psychotraumatologie

La psychotraumatologie explique les effets de tous les types de violence (sexuelle, physique, verbale…) sur le psychisme des victimes même des années après les faits.

  • Vous avez l’impression d’avoir une souffrance à l’intérieur de vous sans savoir vraiment d’où elle vient ?
  • Vous culpabilisez d’être souvent triste ou de changer d’humeur fréquemment sans raison apparente ?
  • Vous avez souvent l’impression de vivre à côté de votre propre vie, comme si vous étiez spectateur ?
  • Vous mangez parfois à vous rendre malade ?
  • Vous vous soumettez à un stress récurrent en ne rangeant pas vos affaires ou en étant tout le temps en retard ?
  • Vous êtes abonnés aux histoires d’amour qui font souffrir ?
  • Vous êtes parfois en colère pour des choses qui peuvent paraître anodines ?
  • Vous avez oublié des pans entiers de votre vie ?
  • Vous n’arrivez pas à vous concentrer ?

Ces lignes sont pour vous.

Il existe une multitude de violences, en voici quelques exemples :
— Être l’objet de moqueries dans la cour de l’école
— Se sentir rabaissé par des critiques permanentes
— Avoir été battu, violé, abusé

— Ne pas avoir eu l’impression d’avoir été aimé, ou important dans le regard de quelqu’un, avoir été ignoré

Les lignes qui suivent sont générales. Chacun prendra ce qui lui parle. Pour simplifier la compréhension du point qui nous intéresse, le fonctionnement du psychisme et de certaines structures cérébrales sont parfois présentés de manière réductrice et schématique.

Nous allons nous intéresser à deux situations :
Situation 1 : Quand un événement est chargé émotionnellement mais pas traumatisant.
Situation 2 : Quand un événement est traumatisant.

Pour comprendre il faut avoir quelques notions rapides des structures cérébrales en jeu :
– Le néo cortex : le cerveau « rationnel ». Celui qui pense.
– L’hippocampe : le centre chargé de la mémoire, de l’apprentissage et du repérage spatio-temporel. C’est grâce à lui que l’on va savoir comment réagir face à une situation puisqu’il va nous aider en mettant à notre service tous nos souvenirs, tout ce que l’on a vécu jusqu’ici et qui nous permet de comprendre la situation à laquelle nous sommes confrontés. Grâce au repérage spatio temporel de l’hippocampe, il devient possible de distinguer ce qui est à l’intérieur de nous et ce qui est à l’extérieur ou ce qui appartient au passé, au présent ou au futur.
L’amygdale est le cerveau émotionnel inconscient, le radar des dangers qui nous entourent.
L’adrénaline et le cortisol sont des hormones du stress. Elles sont dangereuses pour l’organisme si elles atteignent des taux trop importants. A trop forte concentration, l’adrénaline peut provoquer un arrêt cardiaque. Un taux de cortisol trop important entraîne des lésions neuronales, comme une blessure au niveau du cerveau qui peut notamment altérer la mémoire, la capacité de concentration…

Situation 1
Face à un danger, l’adrénaline et le cortisol sont sécrétés. Nous ressentons alors une émotion. Notre cortex, informé du danger par ces concentrations hormonales inhabituelles, analyse les informations que nos sens lui transmettent. Il demande à l’hippocampe (dont le rôle est de se souvenir de nos expériences passées) s’il connaît cette situation. Quel sens a-t-elle ? Quelle est la réaction adaptée ? Quand le cortex aura reçu une réponse de l’hippocampe qui lui aura permis de comprendre la situation et de trouver une stratégie adaptée, il va commander l’arrêt de décharge d’hormones du stress et passer à l’action. C’est grâce à cette compréhension de l’événement et de l’émotion qu’il a engendrée, que celle-ci peut être « digérée » par le psychisme. L’événement et l’émotion qui lui est associée vont pouvoir être rangés dans la « case » passé et se transformer en souvenir. Ils appartiennent alors à la mémoire « autobiographique ». Plus le temps va passer et moins l’émotion sera vive quand on repensera à ce souvenir. La personne profitera alors pleinement de son présent sans être polluée par des événements du passé qui continueraient à la « hanter ».

Situation 2
Lors d’un traumatisme, tout commence « normalement » comme dans la situation 1. La réaction émotionnelle fait suite à la sécrétion d’adrénaline et de cortisol. Le cortex, alors informé que quelque chose d’anormal se passe, va solliciter l’hippocampe pour qu’il trouve les données disponibles en mémoire concernant ce type de situation et par ce biais lui donner un sens. Mais la victime se retrouve face à un « non sens ». En effet cela n’a pas de sens de se faire traiter comme un « moins que rien » par la personne qui nous a donné la vie, cela n’a pas de sens de recevoir un geste appartenant à la sexualité adulte quand on a 6 ans. Cela n’a pas de sens de se voir frôlant la mort, etc… L’hippocampe ne trouve pas d’information à fournir au cortex. Cette réponse que le cortex attend pour pouvoir stopper l’augmentation des taux de cortisol et d’adrénaline, ne vient pas. Mais si on laisse ces taux augmenter, l’organisme est en danger d’arrêt cardiaque ou de lésion neuronale, autrement dit en danger de mort. Face à ce risque vital, un mécanisme de défense se déclenche : la disjonction provoquée par la sécrétion d’endorphines et de substances antagonistes des récepteurs de la N-Méthyl –D-Aspartate. Comme un circuit électrique survolté qui se court-circuite pour ne pas que tous les éléments soient grillés.
Cette disjonction permet d’atteindre l’anesthésie émotionnelle. C’est-à-dire que l’émotion est là mais le cortex n’est plus au courant. Comme si on était coupé d’une partie de soi-même parce que la souffrance est trop grande pour pouvoir être supportée consciemment. L’émotion est là quelque part mais nous n’y sommes plus connectés. Les victimes décrivent souvent un sentiment d’étrangeté, l’impression d’être en dehors de son corps, une sensation d’irréalité de l’événement ; ce qui les amène à douter du fait que cela se soit vraiment passé. L’émotion n’est pas digérée, car aucun sens n’y a été rattaché contrairement à la situation 1. Elle ne peut pas être rangée dans la « case passé ». Au lieu d’appartenir à la « mémoire autobiographique », cet événement et l’émotion qui lui est rattachée sont piégés dans la « mémoire traumatique » et vont hanter le psychisme de la personne.

Tant que cette émotion ne sera pas digérée, elle se réveillera à chaque fois qu’un élément du présent lui rappellera la scène ou seulement certains aspects de la scène. Ce peut être un détail, une date, une expression de visage, un geste, la vue d’un objet, une sensation, un comportement, un bruit etc…. Face à un regard, la personne peut ressentir une peur panique et ne rien comprendre à cette réaction qui semble irraisonnée et disproportionnée pour elle et son entourage. Mais cette réaction a toutes les raisons d’être car elle n’est pas en réaction au regard dans la situation présente mais bien en réaction au regard dans la situation passée traumatisante car le cerveau émotionnel est resté bloqué au moment du traumatisme. Donc même si le cortex, la raison, voit bien que la personne est en sécurité dans « l’ici et maintenant », le centre émotionnel vit encore au moment du trauma. Il est toujours en alerte, comme si la situation traumatique pouvait ressurgir à tout moment. Et comme il est coupé du néocortex, il ne reçoit pas l’information qui pourrait assurer que dans le présent la personne est en sécurité. Ces personnes sont comme bloquées dans le passé et elles n’arrivent pas à être dans le moment présent, malgré leur volonté de l’être.
Les victimes de violences, quelles qu’elles soient, décrivent souvent un état de fatigue et une impossibilité à se concentrer. Il est aisé de comprendre à la lumière de cette explication que si une partie de la personne est toujours dans la terreur de revivre le trauma, il est impossible pour l’autre partie de se relâcher et de se concentrer vraiment sur autre chose, par exemple un livre.
Une émotion piégée dans la mémoire traumatique ne diminue pas au fil du temps qui passe.

Cette mémoire traumatique va pousser la victime à mettre en place des stratégies de survie. Le but étant d’échapper à tout prix à la sensation de cette émotion sous-jacente piégée dans le corps et dans le psychisme et qui peut resurgir à chaque instant. 

Pour cela il existe 4 catégories de stratégies :

1°) L'évitement. La personne évite tout ce qui peut lui faire penser consciemment ou inconsciemment à la situation traumatisante : phobie, peur de sortir de chez soi, fuite du monde extérieur…

2°) La consommation de drogues :
— Soit des excitants (comme l’amphétamine, l’ecstasy, la cocaïne…) provoquant une importante sécrétion d’adrénaline dont l’organisme se protège par une disjonction.
— Soit des drogues qui se substituent et s’ajoutent aux endorphines endogènes, ce qui créent directement l’état dissociatif et donc l’anesthésie émotionnelle, l’impression d’être déconnecté de soi-même et de ne plus sentir.
— Le même effet est trouvé grâce à des techniques corporelles dites « dissociantes » : le balancement, la musique très forte, des mouvements saccadés…

3°) L’auto agression :
— Par la recherche inconsciente de mise en situation dans lesquelles on sait que l’on va souffrir. Par exemple pour les femmes qui retournent avec un homme violent : leur cerveau rationnel, leur neo cortex sait que c’est irraisonnable mais c’est plus fort qu’elle, comme une drogue. C’est leur amygdale (centre émotionnel) qui va chercher cette situation pour se faire disjoncter et atteindre l’anesthésie émotionnelle, atteindre cet état du drogué après un shoot. Il n’est pas « heureux », il est juste soulagé pendant quelques instants.
— Par la vision de scénarios insupportables pour la morale de la personne. Par exemple dans le cerveau de certaines mamans peuvent survenir des phrases obsédantes qui prédisent la mort de leur enfant ou des flashs de leur mort. Cela va avoir sur le cerveau un effet traumatisant (justement parce que la mort de leur enfant leur serait insupportable) qui va permettre la disjonction et l’accès à l’anesthésie émotionnelle. On peut imaginer la culpabilité qu’engendrent ces pensées terrifiantes pour ces mamans qui se perçoivent souvent comme des monstres en se demandant ce qui ne va pas chez elles pour être obsédées par des phrases parlant de la mort de leurs enfants. Alors que ce sont bien des mécanismes d’adaptation et de protection mis en place par leur cerveau pour survivre de la moins mauvaise manière aux traumatismes qu’elles ont vécus.

4°) L’hétéro agression : des études ont montré que les bébés sont empathiques à la base. Voir souffrir un autre être humain va nous faire souffrir. Donc pour se faire disjoncter et accéder à l’anesthésie émotionnelle, le cerveau émotionnel peut nous amener à agresser une autre personne.

Comme tous les drogués, le cerveau émotionnel, par un phénomène d’accoutumance va demander à augmenter la dose. Il va avoir besoin d’une concentration plus forte d’adrénaline, de cortisol ou d’endorphines pour accéder au même effet, c’est-à-dire à la disjonction pour enfin être anesthésié émotionnellement, pour ne plus sentir cette sensation intolérable dans le fond notre cœur. Au fils du temps cela peut pousser la personne à consommer toujours plus de drogues, à aller vers des situations toujours plus dangereuses et toujours plus destructrices. Cela accompagné de culpabilité pour la personne qui finit par se dire qu’elle le fait exprès, qu’elle va chercher ces situations, qu’elle n’a pas à se plaindre car elle l’a bien cherché. C’est aussi ce que sous entendent parfois ses proches qui souvent ignorent tout des phénomènes traumatiques.

On peut se retrouver d’un seul coup envahi par des images hyper-violentes et par une rage effroyable, sans comprendre pourquoi. Tout peut basculer d’un moment à l’autre, tout peut devenir menaçant, une sensation de grand malaise peut surgir sans que l’on sache pourquoi ni d’où elle vient. Cela vient renforcer les sentiments de honte et de culpabilité déjà présents chez toutes les victimes d’abus sexuel ou d’autres types de violence. En règle générale, les enfants ayant assisté à des scènes de violence entre leurs parents s’en veulent de n’avoir rien pu faire.

Si la personne n’adopte pas ce type de conduite, elle ne disjoncte pas et reste bloquée dans un état de détresse et une sensation intolérable provoquée par la présence sous-jacente de l’émotion traumatique non digérée. Les conduites dissociantes sont donc clairement impulsives, elles sont « nécessaires » à un moment donné, elles ne sont pas choisies, elles sont obligatoires pour sortir d’un état intolérable.

Des signes qui conduisent à douter de la véracité des faits sont en faits des éléments attestant cette véracité.
Une décharge trop importante de cortisol (hormone libérée lors d’un stress) peut engendrer des troubles de la mémoire. Cela explique que souvent les victimes ne se souviennent pas d’un pan plus ou moins important des événements. Certaines même ne se souviennent de rien, elles n’ont que leur mal être inexpliqué. Cet oubli ou cette non clarté des faits peuvent mettre à mal la crédibilité de la version de la victime.
A cela peut s’ajouter la dissociation péri-traumatique. Grâce à la disjonction nous sommes coupés de nous-mêmes pour ne plus sentir la souffrance au niveau de notre cerveau émotionnel. Dans certains cas, les victimes gardent le souvenir de cette absence d’émotion. Elles vont donc raconter un viol comme elles raconteraient avoir mangé une pomme. Non pas que la souffrance ne soit pas là, mais elles s’en sont coupées pour survivre. Parallèlement, les angoisses peuvent être très présentes dans leur vie quotidienne mais elles ne sont plus rattachées à cet événement.
Par ailleurs cette sensation d’être coupé de soi-même, la dissociation, peut donner à l’événement un caractère irréel. Ce qui amène souvent les victimes à douter de ce qui leur est arrivé. Elles se demandent même parfois si elles ne sont pas en train d’inventer ou d’exagérer. Lorsqu’un abus a lieu dans une famille, que cela soit arrivé est tellement difficile à croire que l’entourage peut aussi mettre en doute ce dont la victime n’est déjà pas sûre. Ceci peut constituer un second traumatisme car quelque chose à l’intérieur de la victime sait ce qui lui est vraiment arrivé et ne pas être reconnue comme victime constitue un nouveau non respect de l’être qu’elle est.

Les abus à caractère sexualisé ont un énorme pouvoir de sidération et de colonisation du psychisme des victimes.
La gravité de l’abus n’est pas proportionnelle aux actes commis. L’ampleur du traumatisme est causée par l’incohérence de l’événement, par son non-sens, c’est en cela que les abus sont qualifiés « d’agressions sexuelles », même s’il n’y a pas de violence physique. En effet la violence réside entre autre, dans le fait que le psychisme est violenté et violé par la volonté incompréhensible de l’autre sur soi. C’est cela qui le rend traumatisant pour le psychisme, surtout si personne ne vient secourir la victime, ni reconnaître sa véritable souffrance. Cette « violence » opère une déchirure du sens que nous donnons au monde et à notre existence ; elle impose des émotions qui n’ont aucun sens dans notre réalité. La violence nie tout ce que nous sommes, notre sens de la vérité, de la justice, elle détruit tous nos repères.
L’auteur des faits méprise un refus ou une absence de désir de la victime par l’intermédiaire de la violence, de la contrainte, de la menace ou de la surprise. La contrainte peut être morale. Elle peut résulter de la différence d’âge entre la victime et l’auteur des faits ou de l’autorité que représente ce dernier pour la victime.
Juridiquement, il y a « circonstance aggravante » quand l’agression sexuelle a été commise sur un mineur de moins de 15 ans, sur une personne vulnérable, lorsqu’elle est commise par un ascendant légitime ou naturel ou par toute autre personne ayant autorité sur la victime. Cette violence est plus grave lorsqu’elle est commise sur des enfants, qui sont en situation de dépendance, des êtres en devenir, en pleine construction. L’immaturité du système nerveux rend le cerveau des enfants beaucoup plus sensible aux effets du stress.

En thérapie, nous allons pouvoir travailler sur le traumatisme lui-même ou sur ses conséquences dans le présent.

Ce texte est un résumé du livre de Muriel Salmona « Le livre noir des violences sexuelles ».